Les interruptions d'Internet font depuis longtemps partie des outils utilisés par les gouvernements qui souhaitent faire taire une opposition ou couper la communication avec l'extérieur du pays. La campagne KeepItOn d'Access Now, un groupe qui œuvre à la défense des droits numériques des utilisateurs d'Internet dans le monde entier, a fait état d'au moins 182 interruptions d'Internet dans 34 pays en 2021. Un grand nombre de celles-ci ont eu lieu pendant des manifestations publiques, des élections ou des guerres dans le cadre d'une forme extrême de censure appliquée dans des pays tels que l'Afghanistan, la République démocratique du Congo, l'Ukraine, l'Inde, et l'Iran.
Les gouvernements qui souhaitent bloquer ou ralentir les communications disposent de plusieurs possibilités qui vont de la limitation du débit au blocage d'adresses IP, en passant par les interférences DNS, les interruptions de données mobiles et l'inspection de paquets en profondeur, toujours avec un même objectif : exercer un contrôle sur les informations.
Bien que les interruptions d'Internet soient largement publiques, il est difficile de les documenter et d'assurer un suivi de la manière dont les gouvernements les mettent en œuvre. Non seulement les interruptions entravent la participation des populations à la vie civile et politique et à l'économie, mais elles nuisent gravement à la confiance dans les institutions démocratiques.
Nous avons fait état de ces interruptions par le passé et à l'occasion de la Cloudflare Impact Week, nous souhaitons vous en dire plus sur la manière dont nous travaillons avec les organisations de la société civile pour fournir des outils permettant de suivre et documenter la portée de ces interruptions. Nous voulons accompagner le travail essentiel qu'elles font et leur donner les outils dont elles ont besoin pour pouvoir demander des comptes et condamner le recours aux interruptions dont le but est de faire taire toutes les voix dissidentes.
Alertes Radard d'interruption d'Internet pour la société civile
Nous avons lancé Radar en 2020 pour mettre en lumière les schémas, informations, menaces et tendances d'Internet à partir des données récoltées dans notre réseau. Une fois que nous avons lancé Radar, nous avons remarqué que de nombreuses organisations de la société civile ainsi que des entités qui œuvrent en faveur de la démocratie utilisaient Radar pour suivre les tendances dans les pays et mieux comprendre l'évolution (croissante ou décroissante) de l'utilisation d'Internet.
En interne nous avions un système d'alerte pour les interruptions potentielles d'Internet capable d'avertir de manière précoce des variations survenues dans les schémas et des incidents de réseau. Lors de nos échanges avec ces organisations qui utilisent Radar pour suivre les tendances d'Internet, nous en avons appris plus sur la manière dont notre outil interne d'identification des répartitions du trafic pouvait être utile pour les organisations qui œuvrent sur le terrain pour la défense des droits humains et qui sont touchées par ces interruptions.
Pour déterminer quel est le meilleur outil à proposer une fois que Cloudflare a constaté ces interruptions, nous nous sommes adressés à des organisations telles que Access Now, Internews, la fondation Carter Center, le National Democratic Institute, l'Internet Society, et l'International Foundation for Electoral Systems. Après ces conversations, nous avons lancé les alertes d'interruptions d'Internet Radars en 2021 avec l'objectif d'émettre des alertes lorsque Cloudflare détectait des chutes significatives du trafic et l'espoir que ces informations permettraient de documenter, assurer un suivi et engager la responsabilité des institutions responsables de ces violations des droits humains.
Depuis 2021, nous avons émis ces alertes auprès de partenaires de la société civile pour suivre ces interruptions. À mesure que nous collections les commentaires pour améliorer les alertes, nous avons constaté qu'un grand nombre de partenaires cherchaient davantage de moyens d'intégrer Radar et les alertes dans leurs mécanismes de suivi existants. Nous avons ensuite annoncé le lancement de Radar 2.0 avec accès API disponible gratuitement afin que les universitaires, les traceurs de données (data sleuths), la société civile, les organisations de défense des droits humains et autres passionnés du web puissent analyser, visualiser et enquêter sur l'utilisation d'Internet à partir des données de notre réseau global. De plus, nous avons lancé le Cloudflare Radar Outage Centerhttps://radar.cloudflare.com/outage-center pour l'archivage des pannes Internet et pour le suivi des interruptions passées par les organisations de la société civile, les journalistes/médias et les entités concernées.
Mise en lumière du travail de nos partenaires de la société civile dans le suivi des interruptions d'Internet
Chez Cloudflare, nous pensons que notre travail consiste à créer des outils qui améliorent la confidentialité et la sécurité d'un vaste panel d'acteurs sur Internet. Cela étant dit, nous souhaitons mettre en lumière le travail réalisé par nos partenaires de la société civile. Ces organisations contestent les interruptions ciblées qui compromettent durablement des démocraties dans le monde entier. Découvrez leur histoire.
La coalition #KeepItOn d'Access Now a été lancée en 2016 pour contribuer à l'unité et à l'organisation des efforts d'activistes et d'organisations du monde entier dans la lutte contre les interruptions d'Internet. Elle représente aujourd'hui plus de 280 organisations de 105 pays dans le monde entier. L'objectif final du projet STOP (Shutdown Tracker Optimization Project) est de documenter et dresser des rapports précis sur les interruptions, ce qui nécessite des vérifications consciencieuses. Access Now utilise régulièrement des sources multiples pour identifier et comprendre l'interruption, le choix et la combinaison qui déterminent le lieu et la manière dont une interruption s'est produite.
Le suiveur utilise à la fois des données quantitatives et des données qualitatives pour enregistrer le nombre d'interruptions Internet dans le monde pendant une année donnée, en précisant la nature des interruptions, leur ampleur, leur portée et les causes.
Zach Rosson, analyste données #KeepItOn chez Access Now, précise « Parfois, nous confirmons une interruption d'Internet par des moyens tels qu'une mesure technique, tandis qu'à d'autres occasions c'est le contexte qui nous informe, par le biais de bulletins d'informations ou de comptes personnels. Nous déployons également des efforts considérables pour documenter la manière dont une interruption particulière a été commandée et préciser l'incidence qu'elle a eue sur la société, y compris la raison et le mode opératoire employé. »
À propos de la manière dont la coalition #KeepItOn d'Access Now utilise Cloudflare Radar, Rosson déclare, « Nous utilisons les alertes d'interruption d'Internet Radar sous la forme d'e-mails et de tweets, comme une source fiable grâce à laquelle nous vérifions une occurrence d'interruption. Ces alertes et les mesures sous-jacentes sont utilisées comme sources principales dans notre ensemble de données lorsque nous compilons les interruptions pour notre rapport annuel, de sorte qu'elles sont utilisées également à des fins d'archivage. C'est parfois dans Cloudflare Radar que nous entendons en premier parler d'une interruption, ce qui est très utile dans le cas d'un contexte exigeant une réaction rapide car nous pouvons rapidement mobiliser les outils nécessaires pour vérifier l'interruption et obtenir une solide preuve qui servira pour le plaidoyer. »
Les instances enregistrées d'interruptions comprennent des événements signalés par des sources d'actualité locales et nationales comprises dans l'ensemble de données, des acteurs locaux via la ligne d'assistance pour la sécurité numérique d'Access Now ou la liste d'e-mails de la coalition #KeepitOn, ou directement auprès des entreprises de télécommunication et d'Internet.
Rosson précise, « En ce qui concerne Radar 2.0 et l'API, nous prévoyons d'utiliser ces ressources pour accélérer notre temps de réponse, de vérification et de publication des données de l'interruption lorsqu'elles sont compilées depuis différentes sources. Le CROC (Cloudflare Radar Outage Center) et les points de terminaison API associés nous seront donc très utiles pour accéder rapidement aux informations sur les interruptions, soit dans le cadre d'une inspection visuelle du CROC immédiatement, soit à l'aide de l'API pour extraire les données dans une base de données centralisée sur le long terme. »
Dans la plateforme Pulse de l'Internet Society, Susannah Gray, directrice des communications, Internet Society, explique qu'ils ont beaucoup travaillé pour réunir des informations utiles concernant une interruption d'Internet ordonnée par un gouvernement à l'aide de données provenant multiples sources dignes de confiance et pour les mettre à disposition de tous, toujours dans une présentation facile à comprendre. L'ISOC procède en surveillant le trafic Internet à l'aide de différents outils dont Radar. Lorsqu'ils observent des signes indiquant qu'une interruption d'Internet semble en cours, ils vérifient si celle-ci correspond à leurs critères. Pour qu'une interruption figure dans le traceur d'interruptions Pulse, elle doit répondre aux exigences suivantes. Elle doit :
Avoir été provoquée artificiellement, comme en attestent des sources fiables, y compris des déclarations ou ordres émanant de gouvernements.
Rendre impossible tout accès à Internet.
Avoir une incidence sur un groupe de personnes.
Une fois que l'ISOC a la certitude que cette interruption est le fruit d'une action gouvernementale, et qu'il ne s'agit par d'erreurs techniques, de mauvaises configurations de routage, ou de pannes d'infrastructures, elle prépare une page d'incident, dans laquelle sont consignées les mesures provenant de partenaires de données fiables, puis publie les informations sur le traceur d'interruptions Pulse.
L'ISOC utilise de nombreuses ressources pour effectuer le suivi des interruptions. Gray explique que « Les alertes d'interruption d'Internet Radar sont incroyablement utiles pour attirer l'attention sur les incidents au moment où ils se produisent. L'accès facile aux données fournies nous aide à évaluer la nature d'une panne. S'il est établi qu'une panne correspond à une interruption ordonnée par un gouvernement, nous utilisons souvent les captures d'écran de tableaux de Radar sur la page d'incident du traceur d'interruptions Pulse pour illustrer la manière dont le trafic a été interrompu en entrée et en sortie d'un pays. Nous proposons un lien qui renvoie vers la plateforme Radar pour permettre à ceux qui le souhaitent d'explorer les données plus en détail. »
L'objectif de l'ISOC n'a jamais été d'être la première à signaler des interruptions ordonnées par un gouvernement : sa mission première consiste plutôt à rapporter des informations précises et constructives concernant l'interruption et à en étudier l'incidence sur l'économie et la société.
Et Gray d'ajouter, « Concernant Radar 2.0 et l'API, nous prévoyons de l'utiliser dans le cadre de l'outil d'agrégation des données que nous développons. Cet outil interne combinera plusieurs sources et outils de surveillance et d'alerte de pannes en un système unique qui nous permettra de suivre les incidents plus efficacement. »
Open Observatory of Network Interference : OONI
L'OONI est un projet à but non lucratif qui mesure la censure sur Internet, y compris le blocage des sites web, les applications de messageries instantanées et les outils de contournement. Cloudflare Radar est une des principales sources de données publiques qu'ils utilisent pour examiner les interruptions de connectivité d'Internet ayant été signalées. Par exemple, l'OONI a pu compter sur les données de Radar lors du signalement des interruptions en Iran qui ont marqué la période actuelle de manifestation. En 2022, l'équipe a lancé le MAT (Measurement Aggregation Toolkit), qui permet au public de suivre la censure dans le monde entier et de créer ses propres tableaux à partir des données OONI en temps réel. L'OONI forme également des partenariats avec de multiples organisations consacrées aux droits numériques qui utilisent des outils et données d'OONI pour surveiller et répondre aux épisodes de censure dans leur région.
Maria Xynou, Directrice de la recherche et des partenariats pour l'OONI explique « Cloudflare Radar est une des principales sources de données publiques que l'OONI a consultées lors de l'examen des interruptions de connectivité d'Internet. Concrètement, l'OONI s'en remet à Cloudflare Radar pour vérifier si la plateforme présente un signalement d'interruption de connectivité Internet et comparer les signalements de Cloudflare Radar avec ceux d'autres sources de données publiques pertinentes (telles que l'IODA, et les données de trafic de Google). »
Suivi des interruptions à venir
Tandis que nous collaborons avec toujours plus d'organisations qui évoluent dans le secteur des droits humains et que nous découvrons dans quelle mesure notre réseau global peut être utile pour les bonnes causes, nous aspirons à améliorer nos outils et à en créer de nouveaux pour protéger les droits humains dans l'ère du numérique.
Si vous souhaitez être ajouté aux alertes d'interruptions d'Internet Radar, veuillez contacter [email protected] et suivre les alertes Cloudflare Radar sur Twitter ainsi que le CROC (Cloudflare Radar Outage Center). Pour accéder à l'API Radar, veuillez consulter Cloudflare Radar.